• Amitié.

    Amitié.

     

    - Dragée -

    Ludivine est complètement sur les nerfs depuis l'arrivée des jumelles, elles doivent se relayer pour hurler la nuit et comme elle n'a pas le sommeil lourd comme l'avait... mon père... elle doit être très fatiguée. Elle refuse que je l'aide et les jumeaux sont encore trop jeunes pour s'occuper de bébés. Du coup elle a des yeux creusés par la fatigue et elle est encore plus hystérique qu'avant. A la plus petite raison, ne serait-ce que le fait de passer dans la même pièce qu'elle, elle me bondit dessus et commence à crier des phrases qui parfois ne veulent rien dire.

    A peine levée qu'elle démarre déjà au quart de tour, je pense qu'elle perd un peu la tête... elle se contient devant les jumeaux et c'est moi qui prend tout dès qu'elle se lâche. Je savais déjà qu'elle ne m'aimait pas mais j'ai franchement l'impression d'être exploitée en prime, à chaque objet cassé par une de ses sautes d'humeur, c'est moi qui m'y colle pour les réparations...

    Au final il n'y a qu'au lycée que j'ai vraiment la paix, je n'ai pas beaucoup d'amis mais c'est calme et au moins je suis libre de faire ce que je veux... sauf quand c'est sur moi que tombent les réparations de chaudière. Ils se passent le mot ou quoi ?!

    C'est au cours d'une récréation que je l'ai rencontré. Disons que c'était pas commun de voir des gens dormir sur l'un des bancs du stade voisin, surtout que quelque chose me disait que celui-là allait louper la prochaine heure de cours tel qu'il était parti. Je décidai donc de m'approcher, pas que ça soit mes affaires mais il n'avait pas la tête de ces pseudo-rebelles qui sèchent les cours parce que ça les saoule, en plus ils sont plutôt du genre à faire ça loin du lycée, histoire qu'un pion ne leur tombe pas dessus.

    - Hé salut... dis-je doucement mais suffisamment fort pour le tirer de son sommeil.

    Je pensais avoir besoin de le secouer un peu mais visiblement il était plutôt du genre à avoir le sommeil léger. Il s'étira avant de me regarder en haussant un sourcil. J'étais d'un seul coup un peu gênée de l'avoir embêté. Je me mordillais nerveusement la lèvre inférieure en balbutiant :

    - Euh... désolée de te réveiller... c'est juste que les cours vont bientôt reprendre et je me disais... enfin... je m'en vais si tu veux...

    - Non c'est bon, j'étais juste fatigué, me dit-il la voix encore clairement endormie, c'est pas grave merci...

    - Tu sais la nuit c'est fait pour dormir, plaisantai-je en observant les cernes qui soulignaient ses yeux.

    Il afficha un air si déprimé que ça me refroidit d'un coup. Je m'excusai en me mélangeant les pinceaux mais il ne prêta pas attention à mes tentatives pour rattraper ma gaffe visible, il avait l'air complètement ailleurs et surtout si triste que j'en avais mal pour lui. Je m'asseyais à côté de lui sur le banc en l'observant avec compassion, mal à l'aise et pourtant... je ne sais pas, j'avais l'impression d'avoir déjà vu cette expression de solitude et de douleur quelque part... un peu comme moi quand je me regardais dans le miroir après la mort de papa...

    - Tu n'as vraiment pas l'air bien... est-ce que je peux t'aider ?

    ?

    J'entendis la sonnerie résonner depuis le lycée derrière nous, il me fit un maigre sourire en m'assurant que tout allait bien. Enfin, il ne pouvait pas me tromper avec son regard de dépressif, je savais que je devais me rendre en cours, me faire remarquer finirait avec un beau savon de la part de Ludivine. Enfin, j'ai l'habitude avec elle, puis je ne pouvais pas décemment le laisser dans cet état, malgré que je ne le connaisse ni d'Eve ni d'Adam.

    Je pense que j'ai bien fait, parce qu'il avait l'air d'avoir un sac très lourd à vider. Il me raconta absolument tout, à moi qu'il ne connaissait pourtant que depuis quelques minutes. Il venait de perdre sa mère dans un terrible accident de voiture, tu m'étonnes qu'il n'avait ni le cœur à dormir ni à aller en cours. Je me souvenais comme si c'était hier de mes propres nuits passées à sangloter en silence planquée sous ma couverture, et de ces cours occupés à regarder par la fenêtre, en pensant à tout à fait autre chose. Ce vide dans mon cœur s'était fait ressentir sur mes résultats scolaires et je me souviens que c'était très dur, de souffrir sans avoir personne à qui parler, personne pour vous comprendre... Il avait toujours son père, mais il travaillait longtemps, ayant emménagé récemment il n'avait pas d'amis à qui se confier...

    On parla encore un moment, ou plutôt il parla seul très longtemps, divaguant parfois sur sa mère. Je finis par lui parler de mon père, même si sa mort remontait à bien des mois maintenant, je comprenais parfaitement ce qu'il ressentait et le partageais. Même s'il se retenait clairement de pleurer, au moins eut-il l'air d'aller un peu mieux après avoir déballer toutes ces émotions fortes qui devaient rester coincées quelque part dans sa poitrine ou sa gorge.

    Un surveillant nous tomba dessus en nous réprimandant de sécher ouvertement les cours, on se rendit en vitesse à la vie scolaire pour faire signer un mot de retard et à la sortie il me dit avec un petit sourire plus franc que le précédent.

    - Merci euh...

    - Dragée.

    - Merci Dragée, moi c'est Victorien.

    Sur ce nous nous séparâmes pour nous rendre à nos cours respectifs.

    Lorsque je rentrais chez moi avec mon mot à signer, Ludivine ne manqua évidemment pas de me tomber dessus, ça m'était complètement égal, je ne disais rien, laissant l'orage passer. Elle daigna enfin apposer sa signature sur mon carnet de correspondance et je me réfugiai dans ma chambre, il fallait que je termine mes devoirs avant d'aller préparer le repas du soir pour tout le monde. Même si c'était pour Ludivine et mes frères, j'étais toujours contente aux fourneaux, j'avais le même talent pour la cuisine que mon père et j'avais l'impression d'être en sa présence quand je maniais le couteau de cuisine avec dextérité.

    Le soir venu je me rendis comme à mon habitude devant la tombe de mon père et eut une surprise de taille...

    Amitié.

    J'observais le... fantôme... de mon père de la tête aux pieds, n'en croyant pas mes yeux. Est-ce que je rêvais ? Comment était-ce possible ? Pourtant, à l'instant où il me sourit tendrement, comme avant, je sus que c'était bien lui en face de moi, le même qu'avant...

    - Dragée...

    Je sentis les larmes me monter aux yeux, bien qu'un peu lointaine, comme appartenant à un autre monde, cette voix n'avait pas changé. Je retenais un sanglot et l'envie de me jeter dans ses bras, qui sait si je ne le traverserais pas ? Je plaquais ma main sur ma bouche en retenant à grand peine mes larmes.

    - Papa... tu m'as tellement manqué...

    - Toi aussi ma chérie... tu sais je me sens bien seul dans l'autre monde... pourtant je sais que tu viens tous les soirs sur ma tombe, j'ai pu rassembler suffisamment d'énergie pour prendre forme dans le monde des vivants, je suis tellement heureux de te revoir si tu savais...

    J'osais tendre la main pour lui toucher le bras, c'était froid... et étrangement mouillé, mais je pouvais bel et bien le saisir. J'en profitais pour l'enlacer, je l'entendis chuchoter à mon oreille :

    - Je suis tellement désolé de t'avoir laissé toute seule... si seulement je m'étais méfié... si seulement j'avais vu que Ludivine ne m'avait jamais aimé...

    Je n'en pensais pas moins que lui, mais je ne voulais pas qu'il se torture l'esprit pour l'éternité, je lâchai sur le même ton, la voix éraillée :

    - S'il te plaît ne t'en veux pas... je suis tellement heureuse de te revoir enfin... je me sentais tellement seule...

    Amitié.

    Là, comme Victorien l'avait fait avec moi, je déballais mon sac sur ce que je pensais de Ludivine, cela faisait peut-être mal à mon père mais j'avais tellement besoin de parler de cette sorcière... Il m'écouta sans rien dire puis... c'était étrange, car même s'il me disait regretter de ne pas avoir divorcé de Ludivine, quelque chose sonnait bizarre, comme s'il se refusait de m'avouer quelque chose... Lorsqu'il sentit l'heure de partir arriver, il me serra très fort dans ses bras en me souhaitant beaucoup de courage. Je le regardais retourner dans sa tombe tristement, avant de remarquer l'heure très avancée de la nuit... il était plus que temps que je dorme, malgré qu'il fut difficile de trouver le sommeil avec tous les évènements de la journée...

    Le lendemain, je retrouvais Victorien au lycée, les jours qui suivirent nous les passâmes toujours fourrés ensemble dans la cour de récréation, nous étions devenus inséparables et je le considérais très vite comme mon meilleur ami. Ce que j'aimais en sa présence, c'était le fait qu'on n'avait pas besoin de prétendre être quelqu'un d'autre ou d'aller bien tous les deux, on se comprenait d'un regard, il savait pour mon père, je savais pour sa mère, et il surmontait peu à peu son deuil. Je pouvais parler du calvaire que c'était de vivre avec Ludivine, ignorée de mes frères qui s'amusaient toujours ensemble, semblant n'avoir besoin de personne d'autre.

    J'avais de plus en plus souvent envie de le voir, du coup j'osais maintenant l'inviter à la maison, bien sûr je lui demandais de faire le tour, qu'on se voit derrière le garage pour discuter autrement qu'au téléphone. Je savais que si Ludivine le voyait, sa réaction ne serait pas loin de celle qu'elle avait eu avec ma mère...

    Amitié.

    J'ai été bête de croire qu'on serait tranquilles sachant que Ludivine passait la plupart du temps avec les jumelles, au téléphone avec ses amies ou dans la piscine. Lars tomba par hasard sur nous en pleine discussion, et évidemment il ne manquerait pas une occasion de nuire à quelqu'un celui-là... il rapporta tout à la sorcière et je la vis débarquer au quart de tour. Je savais d'avance comment allait se dérouler cette conversation...

    Amitié.

    - Dis donc Dragée ! Qu'est-ce qui te prend de faire entrer un inconnu dans ma maison ?! On ne sait même pas avec quel genre de personnages tu vas traîner toi...

    Évidemment, connaissant Victorien, il n'allait la laisser insinuer qu'il n'était pas fréquentable sans réagir. En deux pas il fut en face de Ludivine à lui faire ravaler ses arguments en haussant le ton :

    - Dites donc madame ! Je ne crois pas que vous soyez en très bonne position pour dire ça. Il n'y a rien de mal à inviter ses amis chez soi que je sache, quel que soit l'âge et il en va de même pour les personnes riches et supposément respectables que vous semblez fréquenter.

    Amitié.

    Je le suppliai du regard de se taire, ça ne servait à rien avec elle sinon envenimer la situation. La voix de Ludivine partit rapidement dans les aiguë tandis qu'elle vociférait :

    - Déguerpissez tout de suite de chez moi sale malotru ! Je ne veux plus jamais vous voir mettre les pieds sur mon terrain !

    Victorien lui jeta un regard plein de dégoût et de mépris avant de tourner les talons en me lançant un bref "à demain", suivit par Ludivine qui le traçait pour être certaine qu'il ne reste pas. Je ne les suivais pas et tentais plutôt de me faire oublier en allant faire mes devoirs dans le salon. Je n'en eus pas l'occasion, Ludivine me tomba dessus comme une bombe.

    Amitié.

    Je me pris une gifle mémorable avant même de pouvoir ouvrir la bouche pour me justifier.

    - Sale petite ingrate ! Tu as vu ce que tu ramènes chez moi ? Je n'arrive pas à croire que tu traînes avec des individus pareil ! Je t'interdis de le revoir ! Si je te vois avec lui je te jure que tu le regretteras !

    Je fixais mes pieds sans rien dire, mes doigts effleurant ma joue endolorie, elle pouvait toujours rêver pour m'empêcher de voir mes amis ! Je ne demanderais juste plus à Victorien de venir ici. Je la laissais se lamenter encore quelques insupportables minutes sur la qualité de mes fréquentations avant qu'elle ne me lâche enfin pour aller s'occuper de Lucie et Amandine qui hurlaient à l'unisson à l'étage.

    Je m’attelais à mes devoirs, remarquant du coin de l'oeil mon frère entrer dans la pièce.

    Amitié.

    Franchement celui-là il a pas pris les gènes du bon côté de la famille...

    Amitié.

    J'en ai marre de cette vie, heureusement qu'il existe encore des gens biens dans le Simmonde parce que sinon je ne sais pas comment je pourrais le supporter !

    Amitié.

    Mes tâches habituelles et mes devoirs terminés j'appelais Victorien, qui ironisa sur le fait que j'étais encore vivante après le passage de Ludivine. Je n'avais pas le coeur à rire et lui demandais seulement qu'on ne se voit plus qu'au lycée. Il n'était pas ravi parce que du coup on se verrait moins souvent mais je tenais encore à mes tympans moi. Je raccrochais assez vite, tout en fixant mon smartphone (payé par mon père de son vivant et dont je prenais grand soin sachant que Ludivine ne m'en achèterait jamais un nouveau) je me dis que j'avais quand même de la chance d'avoir un meilleur ami, malgré toutes les méchancetés que Ludivine pouvait me dire, grâce à lui je savais que c'était faux et la sorcière pourrait bien me hurler dessus, ça ne m'empêcherait pas de le revoir.

    ~~~

    Oui, c'est toujours autant la joie par ici xD Ludivine étant complètement hystérique c'est pas facile la vie :p Ses frères sont pas mieux mais c'est pas de leur faute ils ont des gènes de Muscadet ^^'


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