Ce qu'on qualifie "Idéal"

 

- Ludivine -

J'ai tout organisé pour ma... notre fête de mariage, il ne fallait aucun invité indésirable et, surtout, que ma mère soit là quand elle comprendrait son échec face à ma réussite. J'avais vraiment hâte de voir son visage déconfit devant moi réussissant là où elle avait échoué. Plus jamais je ne me prendrais ses insultes rabaissantes dans la face et plus jamais elle n'osera lever la main sur moi, moi qui serait la femme la plus riche et la plus puissante de Bridgeport ! Enfin, une d'entre celles qui sont déjà là en tout cas. Je n'ai aucune peine à deviner que ma lignée prendra le contrôle plus tard, c'est comme si c'était mon destin, notre destin.

J'étais tellement absorbée par mes invitations que je remarquais à peine que Dragée fêtait son anniversaire. On peut pas dire non plus que j'en ai quelque chose à faire avant qu'elle ne se mette à brailler.

Elle peut pas s'arrêter de rire et gazouiller le temps que je finisse mes invitations vocales ?

Et POUF !

Après un rapide tour dans la commode (hors de question qu'elle porte cet accoutrement le jour du mariage !)...

- T'as vu papa ! Elle est jolie ma robe hein ?

- Oui ma chérie.

C'est ça, papa par-ci, papa par-là, rappelle-moi qui t'a supporté pendant que tu hurlais à pleins poumons la nuit et que ton père dormait comme une masse déjà ? Enfin, rien d'étonnant à ce qu'elle soit ingrate quand on savait qui l'avait engendré, elle était bien comme sa mère tiens !

Les invités sont rapidement arrivés et nous sommes allé les saluer. Tous des riches ou des figures connues, hors mis ma mère, je ne voulais que le plus raffiné du monde de la haute société ! Ensuite nous nous sommes placés sur la terrasse avec la plus belle vue sur les lumières du pont et de la ville. A une heure si tardive c'était magnifique de se regarder dans les yeux sous la voûte céleste. Bon ç'aurait été mieux si ce n'était pas un gros lard en face de moi, mais on peut pas tout voir.

Comme l'heure tournait et que tout le monde allait partir si on ne se dépêchait pas, nous avons commencé à prononcer nos voeux. Le moment où toute cette richesse allait être liée à moi approchait à toute allure ce qui faisait battre la chamade à mon coeur. Je ne pouvais pas attendre la fin, j'étais tellement impatiente, j'avais rêvé de ce moment des années durant...

Allez dépêche-toi donc qu'on en finisse ! Cesse de balbutier et crache-moi la fin de cette phrase que je dise "oui" ou "je le veux" ou tout ce que vous voulez tant que l'argent me revient !

Les invités se rassemblèrent petit à petit autours de nous, la plupart, dont ma mère, restèrent bêtement coincés dans la pièce d'à côté...

(J'vois très bien je le jure !)

Nous avons échangé les bagues, c'était étrange parce que Rê avait les mains moites et a presque sursauté quand je lui pris les mains, pourtant moi je ne ressentais rien de plus que l'euphorie de l'objectif atteint.

Il aurait pu pleuvoir tellement ça pleurait à côté. Je ne sais pas pourquoi mais je me doutais que ce ne devait pas être très sincère, quoi de mieux qu'une bonne présence et de l'excessivité pour faire bonne figure au mariage de personnes parmi les plus riches de la ville ?

Si c'est pas le plus beau des mariages espéré je ne sais pas ce que c'est.

Un peu de confettis et voilà, tout était vraiment paaaarfait ! Sauf peut-être cette gosse qui n'était pas la mienne mais je saurais bien lui trouver une utilité à l'avenir. Je crois pas que Rê verrait d'un très bon oeil que je la renvoie chez sa mère vu comment il est attaché à sa fille. J'avais pas envie qu'il déclame le divorce moi, seulement qu'il me cède sa richesse et que je puisse me complaire dans le plus luxueux des environnements.

Je profitais que ma cérémonie soit terminée pour choper ma mère avant qu'elle ne s'esquive.

- Alors, qu'en as-tu pensé "maman" ?

- Eh bien... félicitations "ma fille", je vois que tout ce que je me suis efforcée de t'inculquer a fini par porter ses fruits.

Évidemment, elle s'attirait à elle ma victoire. Je n'eus pas le temps d'en ajouter plus qu'elle tournait les talons et partait.

Franchement quelle sans-gêne ! Mais j'ai pas dit mon dernier mot ! Je vais lui coller sous le nez ma victoire, dès que je la recroise ! Elle ne va pas s'en tirer comme ça !

Nous avons remercié et salué les derniers invités avant que tout le monde ne rentre chez soi. Eh bah tu parles d'une fête, j'suis claquée ! Je mérite bien une petite pause.

 

- Dragée -

Bonjour moi c'est Dragée... Bus, c'est pas parce que mon père s'est (re)marié, pile poil le jour où je commençais à comprendre les choses, que ça veut dire que j'ai envie de m'appeler Muscadet. Parce qu'évidemment il a fallu qu'on hérite du nom de ce côté de la "famille"..

Enfin bref, depuis que je peux marcher debout et explorer le monde, j'ai compris à quel point les choses pouvaient être belles... et sombres, par ici. Ce qui est cool c'est que j'ai une chambre pour moi toute seule, parce que pour l'instant les jumeaux, mes petits frères, sont encore au berceau et leur lit-double est actuellement inoccupé.

Mon papa, il est super gentil avec moi, il me dit toujours que je suis la plus jolie, la plus gentille et la plus merveilleuse des enfants qu'il connaisse. Enfin il faut dire qu'avec les deux larves au berceau y a pas beaucoup de concurrence. Enfin c'est cool, quand je lui demande quelque chose il me l'achète, comme la maison de poupée toute neuve là...

Enfin, je me sens un peu seule malgré tout, alors j'ai hâte que mes frères grandissent mais...

... si j'ai le malheur de m'approcher de trop près du berceau et que Ludivine - non je ne veux pas l'appeler "maman" comme le voudrait papa - me voit, je me prends une belle avalanche de cris sur la tête.

- Dis-donc toi ! T'approche pas de mes enfants !

- Mais euh... je le regardais juste dans son berceau... je voulais pas...

- Je me fiche de tes intentions, ta présence les fait pleurer ! Oh et puis déguerpis j'ai un appel...

- Oui allô ? Oui c'est bien madame Muscadet c'est pour quoi ? fait-elle d'une voix mielleuse comme si elle ne s'était pas égosillé deux secondes auparavant. Ah oui, ma livraison de chaussures...

Moi je sais que c'est pas vrai, c'est elle qui fait pleurer les jumeaux à force de me crier dessus tout le temps. J'aimerais bien que papa soit là, elle agit jamais comme ça devant lui, mais il travaille...

Le seul moyen de me libérer de la sorcière, qui m'insulte à la première occasion et me fait toujours tout nettoyer en prétextant que c'est de ma faute que je salis la maison... ben c'est l'école. C'est bien là-bas, un peu dur ou ennuyant parfois, mais au moins j'ai des amis et je peux rire et jouer comme tout le monde sans Ludivine derrière moi pour me faire des reproches du genre "Tss t'as encore sali tes vêtements, arrête de te traîner par terre c'est qui qui les paie à ton avis ?" ou bien "Encore à rien faire espèce de feignasse ??". Parfois j'ai envie de lui répondre, lui crier que c'est papa qui rapporte l'argent à la maison, qu'elle n'est qu'une intruse ici, mais je le fais pas, parce que c'est méchant et que je veux pas être comme elle.

Un jour, alors que je sortais des cours y a une dame qui m'a adressé la parole, mon papa il me dit toujours de pas parler aux adultes que je connais pas, mais elle avait l'air gentille, alors je l'ai écouté. Elle m'a demandé mon prénom, puis elle m'a donné le sien. Dragie Bus. J'ai compris que c'était elle, ma maman. Quand je demande à papa des informations sur elle, il a toujours le regard triste alors je préfère pas, mais maintenant que je l'ai rencontré je me dis que les choses vont peut-être changer.

Quand je rentre des cours, le monstre m'attend toujours derrière le portail, et comme papa est pas encore là Ludivine en profite pour crier, encore.

Évidemment, dès que je passe la grille ça y va pour les réprimandes.

- Eh ben t'aura pris ton temps ! Pense même pas à te planter devant la télé toi, tu fais tes devoirs puis tu sors les poubelles !

Pff, moi je vais directement à la maison depuis l'arrêt de bus, je prend pas mon temps. C'est quand même pas de ma faute si le trajet est long jusqu'à l'école !

Enfin bon, aujourd'hui encore j'ai encaissé sans rien dire puis je suis allé fouiller dans les pages jaunes, là j'ai trouvé le numéro de ma vraie mère. Je crois que je vais l'appeler souvent, histoire de lui raconter mes journées, la connaître et peut-être qu'un jour elle viendra me tirer de là. D'un côté je sais que mon papa serait triste, alors je lui demande rien et je préfère qu'elle vienne pas à la maison, j'ai pas envie que Ludivine lui crie dessus à elle aussi. Il n'y a que sur mon père et les jumeaux qu'elle ne crie pas.

Mais quand même je voudrais vraiment m'enfuir d'ici parfois...

Quand papa rentre ça va tout de suite mieux, la sorcière fait bonne figure devant lui, elle sourit et elle est attentionnée. Pourtant il y a quelque chose qui ne change pas chez elle : elle ne fait rien. C'est toujours papa qui s'occupe des trucs compliqués comme déboucher les toilettes ou la cuisine.

Avant je comprenais pas pourquoi il ne disait rien et exécutait sans broncher. Maintenant je sais, ça se lit dans ses yeux quand il la regarde, il est fou, fou amoureux d'elle. Alors pour l'instant je dis rien, je lui dis pas à quel point Ludivine est méchante avec moi quand il a le dos tourné. Je me contente de l'aider dans les tâches ménagères...

Qu'est-ce que ça pue quand même !

Quand j'ai fini, je m'installe au bureau de la chambre et je fais mes devoirs, parce que je veux des bonnes notes comme ça mon papa sera fier de moi ! Puis comme ça, un jour, quand je serais grande, j'aurais un super travail et je pourrais vivre toute seule, parce que je veux pas dépendre de Ludivine, elle me le reprocherait toute ma vie.

Parfois, je me dis que je devrais vraiment en parler papa, parce que ça me fait comme une boule au coeur, et ça fait mal de garder ça pour moi...

 

- Ludivine -

Dragée était difficile à faire rentrer dans le moule, je détestais son regard de peste, c'était presque une insulte de se sentir observée par cette mioche ! Enfin je la supportais parce que j'avais pas envie que Rê me fasse une scène, je suis quand même bien gentille d'avoir fait aménager sa chambre et de l'autoriser à rester ici !

Enfin, quand les deux autres sont ailleurs, je passe le plus clair de mon temps avec mes bébés.

Ils sont ma chair et mon sang, ils seront les seuls à comprendre ce qu'apporte avec lui le nom Muscadet, une promesse de richesse et de célébrité, une force prête à surpasser tous les obstacles. Les autres n'ont qu'à bien se tenir, ils ne sont que les outils de la grande ascension de ma famille au sommet de Bridgeport !

Pour ma part je profitais de mon temps libre, il y avait des tas d'activité à faire quand on n'avait pas sa mère sur le dos pour nous dicter comment vivre. J'avais une nette préférence pour le jacuzzi et la piscine.

Franchement, si c'était pas une vie de rêve ça ... ?

 

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Et voilà, le sort des Bus est scellé, leur vie ne sera plus jamais la même :p